Une cigogne passe...

La cigogne s'était bel et bien perdue... Elle effectua à nouveau quelques cercles à basse altitude pour tenter d'apercevoir un repère quelconque qui aurait pu la remettre sur le bon chemin, mais rien à faire, elle ne reconnaissait absolument pas cet endroit.

Son lourd paquet commençait à lui peser. Elle décida de se poser pour faire le point et souffler un peu. Une très belle cheminée en briques marbrées constitua une parfaite aire d'atterissage .

La situation n'était guère glorieuse. Perdre sa route était la honte absolue au sein de la corporation des cigognes. Si cela s'apprenait, elle serait la risée de toutes, et elle risquait même d'être condamnée à la sédentarisation forcée sur une cheminée en béton pour amuser les enfants de touristes en Alsace. C'est en tous cas ce qui était arrivé à la dernière qui s'était égarée ainsi.

Elle regarda son chargement. L'idée de l'abandonner là et de s'enfuir au Moyen-Orient l'effleura bien un instant -elle savait que personne ne la retrouverait là-bas-. Mais elle songea à ceux qu'elle ne connaissaient pas mais qui aujourd'hui attendaient son arrivée avec anxiété, et elle choisit plutôt d'abandonner son idée. Il fallait assumer et faire face à son devoir.

Elle sortit son mobile et composa le numéro du standard. Après quelques sonneries quelqu'un décrocha:
-"Cigogne Routing Services à votre service, bonjour!"

-"Salut, ici l'agent A56FA0. Je me suis perdu, vous pouvez me localiser et me rerouter vers mon client?"

-"Pas de problème... Patientez quelques secondes... Voilà... Prenez cap 160 pendant 50mn, puis 280 pendant 1h20mn.  Vous pouvez aussi prendre tout droit au cap 220 pendant 1h40mn, mais à vos risque et péril car vous survolerez alors le Médoc".

-"Autant se suicider tout de suite!", répondit-elle, "je vais faire le détour". Elle raccrocha.

Elle savait que son coup de fil était déjà répercuté jusqu'à sa hiérarchie. "Qu'ils aillent se faire voir", lâcha-t'elle. Puis elle balança son portable par dessus les toits. En décollant elle eut juste le temps d'apercevoir un ado boutonneux en train de se battre avec un pitbull pour la possession du portable.

Sa décision était prise. Elle allait bien livrer son paquet, puis seulement elle se ferait la malle. Au Moyen-Orient. Là-bas elle pourrait travailler en free-lance, ce n'est surement pas le boulot qui manquerait. En y réfléchissant bien, elle se rendit compte à quel point elle y était attachée, à ce boulot... Malgré toutes les galères vécues, il restait vraiment extraordinaire. Elle aurait bien du mal à en changer. La joie qu'elle apportait à ses clients était quelque chose d'unique, une émotion incroyable. C'était d'une certaine façon toujours pareil, et pourtant à chaque fois différent: la recette de base est la même, mais les possibilités de variations infinies! Les miracles de la nature...

Enfin elle arriva. Elle reconnut d'abord la maison de la photo, c'était bien celle-ci. Elle entama sa descente, les ailes grandes ouvertes pour amortir l'atterissage et protéger son chargement. Elle frappa à la porte. Un grand type jovial et surexcité ouvrit la porte:

-"Oui ?"

-"C'est bien vous qui avez commandé une choucroute pour 10 ?"

-"Ah! Oui! Eh ben on peut dire qu'on vous attendait, on a l'estomac dans les talons! Enfin, c'est pas grave, on a pris l'apéro. Pas vrai les copains?", hurla-t'il en se retournant. "Vous prenez quelque chose avec nous ?"

-"Merci, c'est sympa. Mais je vous laisse, j'ai encore du chemin. Je vous laisse le tout. Le vin blanc est à part, comme demandé"

-"OK, merci. A la prochaine"

-"A la prochaine.."

Et elle repartit vers de nouvelles aventures.

 

PH